Le site préhistorique de Filitosa en Corse-du-Sud
S’il existait un palmarès des endroits les plus émouvants et inspirants de Corse, Filitosa en ferait à coup sûr partie. Ce site préhistorique célèbre dans l'île de Beauté renferme un réel intérêt patrimonial, mais sa visite est avant tout une expérience unique qui touche petits et grands, celle d’un face-à-face avec le passé. Partons à la rencontre des guerriers de pierre de Filitosa.
Le site
Filitosa, c’est un peu la Préhistoire à la campagne. Le site se trouve dans le Taravo, vallée rurale de l’arrière-pays de Propriano. Ici, point de relief déchiqueté ou de lande battue par les vents pour servir d’écrin à ces mégalithes, mais des champs fleuris et des oliviers. Une fois garés au parking, vous entamez une promenade champêtre qui vous conduira jusqu’à la station.
Au détour du chemin, l’effet de surprise n’en est que plus important. Même si l’on a vu de multiples images des statues, on est littéralement saisi. À Filitosa, les menhirs semblent vous attendre en montant la garde. 8 000 ans vous contemplent et vous interrogent. Ces silhouettes hétérogènes, parfois incomplètes, chacune singulière, ont une puissance d’évocation telle que certains, telle l’écrivain Dorothy Carrington, ont voué leur vie à les comprendre.
La découverte
L’histoire de Filitosa doit beaucoup à deux hommes providentiels. Le premier, Charles-Antoine Cesari, propriétaire des lieux, est l’auteur de la découverte. En 1946, il releva littéralement la première statue, découverte étendue au milieu du maquis, face contre terre. C’était le premier acte de la renaissance d’I Standardi, les pétrifiés. Du même coup, il liait l’histoire de sa famille et celle du site puisque les Cesari sont toujours à la tête de la propriété et que deux de ses fils ont embrassé la profession d’archéologue ! Le second homme est l’archéologue Roger Grosjean qui commença les fouilles en 1954 et les pilota jusqu’en 1975.
La visite
Filitosa propose un ensemble hétérogène qui raconte l’histoire du peuplement de la Corse entre -6000 et l’époque romaine. 6 000 ans d’occupation pendant lesquels croyances et techniques ont été bouleversées plusieurs fois. Il est établi que les premiers habitants du site étaient des hommes du Néolithique. Ils vivaient à l’intérieur des tafonis, ces roches creusées par l’érosion au point de former quasiment une coquille, dont on peut voir des exemplaires sur le site. Quelque 3 000 ans plus tard apparurent les alignements de mégalithes, menhirs bruts non figuratifs.
À l'âge de Bronze, vers -1600, l’arrivée des Torréens, peuple guerrier, a tout bouleversé. Ils ont sans doute brisé les mégalithes et s’en sont servis pour édifier leurs temples, les torres, dont on trouve un bel exemplaire dans l’oppidum central. C’est aussi aux Torréens que l’on doit ces menhirs anthropomorphes et pourvus d’armes, surnommés par les Corses I Paladini, les chevaliers. À l’entrée du site, l'une des plus imposantes statues-menhir de ce type vous accueille. Il s’agit de Filitosa V. Sa tête est manquante, mais il est remarquable par les armes qu’il porte, sculptées sur le torse.
Au centre de la station, on trouve un oppidum fortifié contenant deux grands torres et les restes d’un village. Encerclant le monument central avec sa tour, les 6 statues les plus expressives et les plus célèbres, parmi lesquelles Filitosa VI, brisé en 3, et Filitosa IX. Plus loin, les 5 premières statues découvertes sur le site ont été soigneusement placées autour d’un autre témoin du passé, un olivier millénaire. L'alliance du vieil arbre noueux et des formes de granit à peine travaillées scelle en quelque sorte le lien entre les menhirs et le territoire. En fin de parcours, on peut voir la carrière d’où étaient issues les pierres.
Rendez-vous ensuite au Musée, qui rassemble les pièces de poteries et les ornements découverts dans les habitats.
Filitosa IX, la star
Parmi toutes les statues, un guerrier se détache. Il s’agit de Filitosa IX. Considéré comme un chef-d'œuvre de l’art mégalithique, les spécialistes vous diront qu’il est techniquement très maîtrisé pour l’époque avec ses arcades sourcilières et son bloc nez-bouche clairement dessinés ainsi que la mise en relief de l’avancée du menton. Le simple visiteur, lui, voit une expression et une présence. Grave et indifférent, tel un Sphinx de la Préhistoire, Filitosa IX nous fait face et nous émeut profondément. On a beau le photographier, son mystère reste intact.
Le mystère
Mais c’est le site entier qui est mystère. On dit qu’il est le lieu d’une expérience fantastique, qui a amplement contribué à nourrir sa réputation. Si vous vous y rendez à midi, durant le solstice d’été, un rai de lumière vient frapper les statues et révéler les reliefs de leurs visages. Les pétrifiés s’animent sous vos yeux… Plus prosaïquement, il paraît que c’est le meilleur moment pour les photographier.
Mystère suprême, les archéologues qui se sont penchés sur le site n’ont jamais pu établir à quoi servait réellement la statuaire de Filitosa. Célébration de héros, symboles phalliques, invocation divine à la fertilité ou encore bornes territoriales ? La question reste ouverte et les hypothèses, parfois fantaisistes, nourrissent le mythe. Peut-être les guerriers vous le chuchoteront-ils lors de votre visite…
